Communiqués

Congrès du Mouvement Rachad – Déclaration finale et Résolution

L’Algérie traverse une période difficile de son histoire et une situation critique qui menace l’existence de l’Etat et de la société. Sur le plan politique, le pays vit une déliquescence de l’Etat qui s’est accélérée durant le quatrième mandat présidentiel, ainsi que la paralysie de la présidence du fait de la maladie aggravée d’Abdelaziz Bouteflika. […]

L’Algérie traverse une période difficile de son histoire et une situation critique qui menace l’existence de l’Etat et de la société. Sur le plan politique, le pays vit une déliquescence de l’Etat qui s’est accélérée durant le quatrième mandat présidentiel, ainsi que la paralysie de la présidence du fait de la maladie aggravée d’Abdelaziz Bouteflika. Le pays vit également au rythme de la lutte des clans au sommet de l’Etat, avec l’émergence d’une oligarchie financière de plus en plus influente qui aspire à la captation de l’Etat. Tout cela se passe alors que la souveraineté nationale connait un effritement dangereux et que l’ingérence étrangère devient de plus en plus visible. En face de cette dégradation, l’action de l’opposition se caractérise par l’inefficacité et l’incapacité d’être à la hauteur des ambitions de changements fondamentaux attendus par la population.

Sur le plan économique, l’Algérie connait les prémisses de l’effondrement de l’économie rentière avec la chute du prix du pétrole, notamment avec la promulgation de la loi des finances de 2016, qui va forcément conduire à une hausse des prix et la suppression des services fondamentaux, déjà dans une situation déplorable.

Sur le plan social, l’Algérie enregistre l’apparition des tensions communautaires qui menacent la cohésion nationale. Ces tensions communautaires sont à l’image des polarisations observées dans les pays de la région, et qui sont exacerbées par les forces opposées à l’émancipation politique de nos peuples. Ces forces réfractaires au changement, soutenues par des acteurs régionaux et internationaux se sentant menacés par la perspective de vraies démocraties dans le monde arabe, ont brutalement arrêté le formidable élan émancipateur annoncé par le soulèvement des peuples contre la dictature et la corruption, et plongé la région dans une escalade répressive qui a fait le lit de toutes les formes de violence : terrorisme des Etats, des milices et des groupes, et conflits armés entre Etats.

C’est dans ce contexte difficile que s’est tenu le congrès du Mouvement Rachad en date du 14 Rabii al-Awal 1437 / 26 décembre 2015, sous le slogan de « Ensemble pour un changement effectif et non violent ». Ont participé au congrès les membres du Conseil national ainsi que des représentants des bureaux du Mouvement en Algérie et à l’étranger.

Le congrès a discuté la situation politique, économique et sociale du pays ainsi que les développements régionaux et internationaux et leur impact sur l’Algérie. Le congrès a également dressé le bilan du Mouvement et évalué ses activités depuis sa constitution en avril 2007. Le congrès a enfin discuté des aspects organisationnels du Mouvement, a procédé à la mise à jour de ses textes fondamentaux et à l’élection de son secrétariat pour le prochain mandat.

Résolution sur la civilianisation de l’Etat 
et le contrôle démocratique des forces armées

Depuis plus d’une année le régime en place discourt sur un projet de civilianisation de l’Etat, discours qui s’est accompagné de plusieurs dispositions visant à restructurer le Département de Renseignement et de Sécurité (DRS), puis du limogeage du chef du DRS. Les contours de ce projet de civilianisation de l’Etat n’ont fait l’objet d’aucun débat national impliquant le gouvernement, l’assemblée populaire, les partis et la société civile.

Les questions de l’Etat civil et du contrôle démocratique des forces armées, et des services de renseignement en particulier, représentent des priorités pour le Mouvement Rachad et ce depuis sa constitution. Dans sa charte publiée en 2007, Rachad avait déjà identifié le mal de la prédominance du militaire sur les institutions civiles de l’Etat et de la société, et avait fait des propositions pour pallier à cette situation.

Considérant les antécédents du régime algérien et sa manière de vider les concepts politiques de leur sens, comme cela a été le cas avec les concepts de démocratie et de réconciliation nationale, le Mouvement Rachad craint que le discours actuel de civilianisation de l’Etat ne soit qu’un leurre qui vise à éluder une revendication populaire, et une tentative de faire perdurer le règne des militaires sous une nouvelle forme, sachant que la restructuration du DRS a conduit au transfert de certaines de ses divisions et prérogatives vers l’état-major de l’armée au lieu de leur cessation.

Si Rachad note que ce discours reconnaît implicitement une militarisation de fait du régime depuis l’indépendance, notre mouvement considère néanmoins qu’une vraie civilianisation de l’Etat ne peut être légitimement initiée que par un président démocratiquement élu dans un scrutin libre et équitable, sous le contrôle d’une assemblée nationale de représentants élus librement et honnêtement ainsi que d’un pouvoir judiciaire indépendant et intègre.

Rachad considère que tout projet de civilianisation de l’Etat doit nécessairement être précédé par un programme de démilitarisation de l’Etat, en particulier par la dissolution du DRS (voir annexe séparée sur la réforme des services de renseignements) et de tous ses appendices de contrôle des institutions de l’Etat et de la société, par la séparation de la gendarmerie de l’ANP et son rattachement au ministère de l’intérieur, ainsi que par la démobilisation de tous les organes paramilitaires et la réintégration de leurs éléments dans les institutions militaires et civiles selon les besoins de l’Etat.

Quant au projet de civilianisation de l’Etat, Rachad considère qu’il doit comprendre :

  1. La mise en place de dispositions – constitutionnelles, légales, organisationnelles et procédurales – précises et robustes pour le contrôle démocratique des activités de l’ANP. Ces dispositions viseront à:
      i) garantir que la puissance armée de l’ANP ne se retourne plus jamais contre le peuple et qu’elle ne puisse être exercée sans son consentement ;
      ii) prévenir que des dirigeants politiques ne la détournent pour s’imposer contre leurs compétiteurs politiques ou contre le peuple.
  2. La mise en place de dispositions – législatives, organisationnelles et procédurales (Enquêtes et auditions parlementaires, rapports, témoignages, interpellations, questions, débats, motions, décisions) – pour la surveillance parlementaire des activités de l’ANP par l’assemblée populaire nationale.
  3. La mise en place de procédurales légales pour le contrôle judiciaire des activités de l’ANP.
  4. La civilianisation du ministère de la défense nationale.

Rachad estime que le ministère de la défense civilianisé doit avoir pour rôle politique d’articuler la relation entre le gouvernement démocratiquement élu et les chefs de l’armée, c’est à dire de commander et développer l’armée selon la politique de défense du gouvernement civil, de prévenir sa politisation, sa partisannerie ou son ingérence dans le processus politique, de transmettre au gouvernement les besoins financiers, législatifs et autres de l’armée, ainsi que d’assurer la transparence et la redevabilité de cette institution devant l’Assemblée populaire nationale et la société. Il affèrera bien sûr à ce ministère de la défense civilianisé d’assurer un rôle managérial par une gestion efficace, transparente et économiquement viable des dépenses militaires, congruente avec les priorités économiques nationales.

Annexe concernant la réforme des services de renseignement

1) Mandat

Délimiter, de façon circonscrite et claire, le mandat des services de renseignement (SdR) dans une loi publique, énoncée, débattue et votée à l’APN.

Ce mandat doit incorporer :

  1. Une définition précise et explicite (avec une énumération exhaustive) des menaces contre la sécurité nationale ;c’est la société algérienne, à travers ses représentants légitimement élus et sa société civile, et non pas les SdR, qui définit ce qui constitue une menace ;
  2. Une restriction du rôle des SdR à la recherche, analyse et diffusion des renseignements pour aider l’exécutif et les autres institutions nationales à protéger la sécurité, la population, ses biens et ses droits ;
  3. L’insistance sur la responsabilité et la redevabilité des SdR devant les organes publics de suivi et de contrôle qui inspectent régulièrement la façon avec laquelle ils exercent leur mandat.

2) Assises légales

Révision de toutes les lois sur la base desquelles les SdR algériens opèrent. Seules les textes de loi publiés, en accord avec la constitution et le droit humanitaire international, seront retenues.

Révision de toutes les réglementations complémentaires non publiques, et abrogation de toutes celles qui ne sont pas conformes à la Constitution, aux paramètres fixés par la loi ou qui peuvent porter préjudice aux droits de l’homme. Le droit interne définira en particulier :

  1. les mesures de recherche de renseignements utilisables par ces services,
  2. les objectifs de ces recherches quand elles sont autorisées,
  3. les classes de personnes et d’activités pouvant être ciblées par ces mesures,
  4. le niveau de suspicion exigé pour justifier le recours à ces mesures,
  5. la durée maximum d’application de ces mesures,
  6. et la procédure d’autorisation et de contrôle de l’usage de ces mesures.

3) Structure et dimension

Le DRS, service de renseignement militaire relevant de l’armée, perpétue une tradition coloniale de pacification interne quand il espionne et réprime les civils algériens. Cet organe à l’histoire honteuse doit disparaître, pour être remplacé par :

  1.  Un service de renseignement militaire restreint à la recherche et l’analyse des informations sur les menaces contre l’ANP qui sont transmises au commandement de l’armée et à l’exécutif, ainsi qu’à la protection de systèmes d’information et de communication sensibles liés à la défense nationale ;
  2. Un service de renseignement civil qui recherche, analyse et diffuse les renseignements pour aider l’exécutif et les autres institutions nationales à protéger la sécurité, la population, ses biens et ses droits.

Il doit être interdit au service de renseignement militaire de collecter des informations sur les civils algériens ou sur des sujets qui ne sont pas strictement liées à la défense nationale. Pour éviter toute ingérence des forces armées dans les affaires civiles, si des individus ou des groupes de civils algériens posent une menace à l’ANP, il doit être fait appel au service de renseignement civil pour collecter les informations à leur sujet.

Les tailles des SdR militaires et civils ne doivent pas être surdimensionnées par rapport à la population algérienne.

4) Pouvoirs

Les pouvoirs et compétences réservés aux services de renseignement doivent être clairement définis et listés exhaustivement par la loi algérienne. Ces pouvoirs ne seront autorisés à être utilisés que pour des objectifs en accord avec les raisons pour lesquels ils ont été attribués.

Le service de renseignement militaire n’aura aucun pouvoir d’arrestation ou de détention de civils algériens. Cette interdiction devra figurer explicitement dans la législation nationale.

Si l’APN décide de conférer au service de renseignement civil le pouvoir d’arrestation et de détention – même si certaines démocraties ont choisi de séparer distinctement l’activité de renseignement de la fonction répressive –,le recours à ces pouvoirs doit être soumis au contrôle judiciaire de la légalité de la privation de liberté, ainsi qu’être conforme aux normes de droit international des droits de l’homme. Les personnes arrêtées seront détenues provisoirement dans des centres officiels légalement affectés à cet effet. En aucun cas le service de renseignement civil ne sera autorisé à administrer ses propres centres de détention – reconnus ou secrets – ni à utiliser des lieux de détention non-reconnus administrés par des tiers.

5) Contrôle

Le service de renseignement civil est contrôlé par plusieurs instances, afin d’assurer la séparation des pouvoirs de contrôle :

  1. Une autorité de contrôle interne au service ;
  2. L’exécutif ;
  3. Un organe de l’APN ;
  4. Un organe judiciaire.

Ces organes, dotés des tous les pouvoirs d’inspection des centres, des documents et des activités du SdR, examineront régulièrement si oui ou non le service de renseignement respecte les lois nationales, en particulier celles portant sur les droits de la personne humaine, et si oui ou non il utilise correctement les fonds publics alloués à l’exercice de son mandat.

6) Impartialité

Le service de renseignement civil restera neutre politiquement et n’agira jamais en faveur d’un groupe politique ou contre un autre. Similairement, il n’usera pas de ses pouvoirs pour favoriser, ou discriminer contre, les intérêts d’un groupe régional, linguistique, idéologique ou économique.

Les mesures nécessaires pour assurer cette impartialité incluent :

  1. Soumettre la nomination des chefs du SdR aux contrôles des organes non-exécutifs,
  2. Limiter la durée des mandats de ces directeurs et expliciter la partialité politique, régionale, linguistique ou idéologique comme motifs valables de destitution dans leurs contrats,
  3. Interdire aux employés du SdR de militer dans un parti, de le soutenir ou d’en percevoir des biens, ou d’infiltrer ou de s’ingérer dans toute organisation.
  4. Interdire au SdR d’agir contre les activités politiques légales, en particulier toutes les formes d’expression et les manifestations pacifiques.

7) Gestion des données personnelles

Délimiter, de façon restrictive et claire, dans une loi accessible au public, les types de données personnelles que les services de renseignement (SdR) sont autorisés à collecter. Cette loi définira également les conditions régissant leur emploi, divulgation, conservation et effacement.

Un organe indépendant de contrôle examine périodiquement comment les services de renseignement disposent des données personnelles. En plus des pouvoirs d’enquête et d’accès à tous les documents, cet organe est habilité à prescrire la divulgation de renseignements collectés aux citoyens visés et éventuellement à leur suppression.

Le citoyen peut accéder aux données personnelles que possèdent les services de renseignement à son sujet. Ces services doivent justifier, devant un organe indépendant de contrôle, toute décision de ne pas communiquer les données personnelles qu’ils ont collectées. En tous les cas, ces refus de divulgation doivent rester des exceptions, prescrites par la loi et, de façon démontrable, nécessaires au mandat des SdR.

8) Protection des droits de l’homme

Toute mesure de restriction des droits de l’homme doit être prescrite par une loi, conforme avec les normes de droit international des droits de l’homme, qui liste ces mesures explicitement et précisément et fixe les conditions pour y recourir. Ces conditions incluent une justification qu’une telle mesure protège de façon démontrable la sécurité nationale telle que définie par la loi nationale ainsi qu’une procédure d’autorisation prescrite par la loi.

La Loi s’applique aux agents des services de renseignement comme à tout autre citoyen. Tout agent qui viole ou ordonne à d’autres d’enfreindre le droit constitutionnel ou la législation commet un délit civil ou une infraction pénale.

Les agents des services de renseignement sont légalement tenus de refuser d’obéir aux ordres qui violeraient les lois nationales ou le droit international des droits de l’homme. Des procédures internes et un organe indépendant dûment mandaté doivent permettre de dénoncer les infractions et de protéger les agents refusant des ordres illégaux.

14 Rabii al-Awal 1437 / 26 décembre 2015