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Yahia Mekhiouba. Membre du Conseil national de Rachad : « Les conditions normales d’un débat idéologique libre et transparent ne sont pas encore réunies »

Quelle est la position de Rachad par rapport à la suite des actions du hirak parisien post-marche du 13 septembre que vous avez boycottée suite à la polémique générée par la participation du collectif « Double rupture » ?

Tout d’abord le mouvement Rachad n’a pas boycotté, il a annulé l’appel à la marche initiale de République à Concorde, dont « Double rupture » n’était pas associée à l’organisation. Du moment que d’autres organisations et collectifs qui étaient avec nous dans la démarche unitaire ont décidé, sans nous en informer, de changer l’itinéraire convenu de la marche, sous prétexte que ce dernier soit refusé par les services de la préfecture, en plus de publier un appel signé par des organisations cette fois ci avec « Double rupture », nous avons décidé avec d’autres partenaires de prendre notre responsabilité et d’annuler la marche initiale pour qu’il y ait pas deux marches à la fois du hirak à Paris. Pour la suite des actions, à Paris et ailleurs, notre mouvement est pleinement associé avec un strict respect des slogans imposés par l’intérieur du pays, ce qui a été rappelé cette semaine dans des vidéos par des anciens détenus d’opinion et notamment à Bouira lors du dernier vendredi 84.

Depuis plusieurs semaines, votre mouvement est au coeur d’un débat idéologique houleux, surtout sur les réseaux sociaux, marqué par beaucoup d’invectives de part et d’autre contre des militants hirakistes. Ne regrettez-vous pas la manière dont les choses se sont passées ne serai-ce que sur la forme ?

Nous avons toujours dit, et nous l’affirmons encore aujourd’hui que parler d’idéologie dans les conditions politiques actuelles est une forme d’idiotie politique qui ne sert qu’à alimenter la contre-révolution,  qui est en marche depuis mai 2020. Vous remarquerez que le débat idéologique avec des invectives verbales à la limite des appels au meurtres, sont survenus depuis l’apparition du groupuscule « Double rupture » à place de la République en cette même période, nous avons en tant que mouvement et en tant que personnes été les premières victimes verbale de ces attaques. La contre-révolution veut imposer le débat idéologique clivant afin de fractionner le hirak et de réduire de son intensité, à la limite c’est de bonne guerre, par contre vouloir évacuer l’histoire douloureuse qu’a connu notre pays durant les année 1990, sans un processus de vérité et de justice et faire la lumière sur toutes les responsabilités pénales et politiques de tous les acteurs qui ont conduit cette période, relève pour nous de l’amnésie et de l’irresponsabilité politique qui ne pourra conduire malheureusement à une véritable réconciliation nationale.

Portant un projet politique islamo-conservateur, défendu selon une logique d’argumentation purement idéologique à travers notamment votre propre lecture historique des événements de la décennie noire, pourquoi refusez-vous l’idéologisation du débat politique au sein du hirak ?  

Comme je vous l’ai dit en réponse à votre précédente question, nous estimons que les conditions normales d’un débat idéologique libre et transparent ne sont pas encore réunies dans notre pays, le hirak a un objectif commun, celui de bâtir un Etat civil et démocratique qui permettra à toutes et à tous de pratiquer la politique dans un climat de libertés sans craindre d’être persécuté pour ses opinions. Pour la partie histoire, nous avons notre propre lecture, oui. Je vous signale que les autres partenaires politique ont eux aussi leurs lectures, sans oublier le régime qui a inscrit sa version des faits dans ladite charte de réconciliation nationale, il a même clos le débat dans l’article 46 où il interdit tout débat éventuel sur les événements. On ne peut pas nous reprocher d’étaler notre opinion sur ces événements douloureux alors que tout le monde le fait et sans que cela lui soit reproché. Ceci dit, seul un processus national de vérité et de justice dans une véritable transition démocratique pourra déterminer les différentes responsabilités et proposer une lecture qui pourrait être commune à tous.

En parlant de l’interprétation des faits, que reprochez-vous exactement au slogan « ni militaire ni islamiste » ?

Il ne s’agit pas de reproche mais d’approche ! Ce slogan n’existe pas à ce jour dans le hirak en Algérie, et le rôle de de la diaspora est de soutenir la Révolution du Sourire, non pas de lui imposer des revendications ou des choix politiques. C’est ce qui a été convenu lors des premières réunions parisiennes en février 2019 ; le principe de soutenir cette révolution et d’êtres ses ambassadeurs à l’étranger. Ce qui répond fidèlement à une des plus importantes résolutions de la plateforme de le Soummam : priorité de l’intérieur sur l’extérieur.

Sentez-vous qu’il y a une volonté délibérée d’un certain courant, dit éradicateur, de vous exclure d’office du débat politique autour du hirak et de toute éventuelle initiative commune de sortie de crise, à l’instar de ce qui s’est passé avec le PAD ?

Le courant éradicateur est l’antithèse du hirak, vouloir imposer cette tendance comme l’une de ses interlocutrices est, à mon avis, une mauvaise lecture des événements qui secouent notre pays depuis février 2019. Sans vouloir verser dans l’exclusion, dans votre question vous évoquez une société algérienne qui n’existe pas, sinon très minoritaire. Pour le PAD, la plupart des formations politiques composant ce pôle ont pour la plupart progressé sur cette question de l’éradication et de la mémoire. Vous noterez les problèmes administratifs que connaît le RCD de Mohcine Belabbas à qui le régime veut faire payer ses positions de 2019, que je qualifie de progressistes et courageuses, comparées à celles de son prédécesseur et qui n’a jamais été inquiété de la sorte d’ailleurs.

Propos recueillis par Samir Ghezlaoui

El-Watan