Unité d'études

De l’économie morale du changement

En sciences économiques, la valeur de la marchandise ou du service se mesure au prix que l’on est disposé à verser afin de l’acquérir, et si l’acteur économique, qu’il soit un individu, un établissement ou un Etat, voudrait acquérir un bien quelconque du marché local ou mondial, et après avoir déterminé le prix qu’il est […]

En sciences économiques, la valeur de la marchandise ou du service se mesure au prix que l’on est disposé à verser afin de l’acquérir, et si l’acteur économique, qu’il soit un individu, un établissement ou un Etat, voudrait acquérir un bien quelconque du marché local ou mondial, et après avoir déterminé le prix qu’il est prêt à payer, il se poserait alors les questions suivantes : Est-ce que le service ou la marchandise désirée est indispensable ou superflue ? Est-ce le moment opportun pour l’acquérir ? Comment financer cette transaction ?

Il est incontestable que ce postulat est simplificateur mais cependant suffisant à notre sens pour les besoins de cet article.

La pensée dominante actuelle en Algérie se réduit à tout ce qui facilite l’enrichissement même s’il est illicite. Dans cette atmosphère, il n’y a de place ni aux valeurs, ni à la science, ni à l’art, ni à la politique, ni à l’économie dans leur sens noble. N’évoque-t-on pas régulièrement ce député qui acquiert, par l’argent ou la fraude, un siège au parlement pour démultiplier son profit, ce mufti barbu qui justifie la corruption, ce magistrat qui modifie et adapte son jugement selon la contrepartie versée par corruption, etc. etc. ?

Qui est le premier responsable de cette situation si ce n’est le sommet du pouvoir qui gouverne ? Tout ce que le pouvoir a élaboré comme usages et comportements incite les citoyens au dévoiement. Lorsque l’on discute de cette situation inquiétante avec une personne, qu’elle soit businessmen entre deux « affaires », responsable politique en aparté, « harrag » candidat au départ, ou fonctionnaire qui ne compte pas sur son salaire pour subvenir aux besoins de sa famille, tous, à l’instar des politiciens ou autres intellectuels, sont d’accord pour dire que le pays se dirige vers l’abîme… Mais « Allah ghaleb », ce qui est urgent aujourd’hui, c’est l’intérêt personnel. Quelle est alors l’issue à cette dérive qui menace l’Etat et la nation?

Il est évident que le changement se fera par une élite issue du peuple, et qui se distinguera par l’intelligence dans l’élaboration d’un projet de changement, par sa planification et par les sacrifices qu’elle consentira pour sa réalisation. Si l’on fait preuve de réserve dans le raisonnement par analogie, le point commun entre ce type de démarche et les principes de l’économie mentionnés plus haut est évident. Le changement s’avère plus que nécessaire, doit s’opérer au moment opportun et au moindre coût. Si la majorité écrasante ressent cette nécessité, il demeure néanmoins urgent de clarifier le modèle que nous cherchons à réaliser afin que notre combat ne se limite pas à lutter contre la corruption mais porte aussi sur l’édification d’un Etat de bonne gouvernance. Il n’y a pas de place aux promesses mensongères et aux slogans creux ; il est impératif d’être sincère et de diagnostiquer le mal en toute franchise afin de trouver le traitement efficace ; ceci est le rôle principal de l’élite.

Pour clarifier l’idée, on pourrait prendre exemple du discours de Winston Churchill qui, pour mobiliser son peuple contre les attaques d’Hitler, avait déclaré : « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. » Il ne faut pas croire que mentionner cette citation est un appel à la violence ; bien au contraire, ce qui nous est demandé, c’est de veiller de toutes nos force afin que le changement soit pacifique et non-violent, sans oublier que le combat le plus difficile est celui que nous engagerons pour la construction, lequel exigera l’endurance devant la difficulté, les larmes et la sueur, et peut être aussi le tribut du sang pour sauvegarder l’indépendance et la souveraineté de notre pays. Le changement devra forcément être un processus menant à un Etat de droit qui consacre les libertés et la bonne gouvernance, ainsi qu’à la réalisation des valeurs du travail, de l’effort, de la citoyenneté, de la fraternité et de la solidarité.

Le changement ambitionné a un prix que l’élite doit être, la première, prête à payer. Cette élite doit également se mettre au service des intérêts des Algériens, les protéger contre les nuisances et ouvrir le champ à tous les citoyens pour contribuer au processus de changement.

La vérité envers la nation et la franchise exigent de nous à reconnaitre que le problème de l’Algérie n’est pas exclusivement le fait des « généraux », des « terroristes », des « islamistes », des « laïcs » ou de « l’ennemi extérieur », mais qu’il est lié en grande partie à une maladie qui s’aggrave et se propage de jour en jour, à savoir le mépris et la marginalisation de l’Autre. Les liens de citoyenneté et de fraternité en Islam ont failli se désintégrer, et cette dislocation touche même aujourd’hui des membres d’une même fratrie lors de conflits sur l’héritage d’un proche disparu.

La cause de cette dérive émane essentiellement de la nature du pouvoir en place, car la corruption du gouverné provient de la corruption du gouvernant. Mettre à nue le régime et dévoiler ses manipulations, comme les prétendues « élections législatives de mai 2012 », est une obligation pour chaque citoyen soucieux du destin de son pays. Mais il est nécessaire aussi d’agir pour un changement qui exige, en premier lieu, d’échapper à la tentation de l’enrichissement facile en remettant l’effort et l’action au centre du système de valeurs de notre société. Ceci n’est pas un dénigrement de l’argent, s’il est obtenu licitement, mais une question en relation avec l’ordre des priorités.

Mourad Dhina
20 avril 2012

http://hoggar.org/2012/04/23/de-leconomie-morale-du-changement/