Droit de réponse

Constance de Rachad dans la lutte contre la mainmise du régime militaire sur la vie politique

Le texte ci-bas est rédigé, au lendemain de la création de Rachad en 2007, par Mourad Dhina en réponse à la désinformation propagée par une journaliste suisse.

Nous avons souhaité republier cette réponse pour deux raisons. La première porte sur les biais par lesquels les détracteurs de Rachad s’attaquent au mouvement. On retrouve toujours et encore les mêmes insinuations et accusations fallacieuses contre Rachad. Nous ne pouvons que constater que ceux qui ressassent aujourd’hui les mêmes accusations n’apportent rien de nouveau et qu’au contraire, les faits et la transparence du mouvement tout au long des années enlèvent tout crédit à leurs thèses farfelues. La seconde, qui est pour nous la plus intéressante, est la vision stratégique de Rachad et la constance de sa lutte non-violente pour la civilianisation de Etat, pour l’Etat de droit, pour le devoir de vérité et contre l’arbitraire. Autant de principes et de valeurs validés sur le terrain par le Hirak du 22 février 2019. L’article détracteur a eu au moins le mérite de souligner, même sur un ton suspicieux, l’ambition fédératrice de Rachad qui appelait dès sa création à la cohésion de tous les Algériens, indépendamment de leurs projets politiques et orientations idéologiques, dans la lutte contre la mainmise du régime militaire sur la vie politique en Algérie.

Bonne lecture !

Je vous rassure, Madame Moussadek, le changement en Algérie se fera avec “des fleurs”…

J’ai lu avec intérêt l’article publié aujourd’hui par le journal Le Temps (LT du 26 juin 2007) et signé par Madame Marion Moussadek. “En finir avec la dictature de Bouteflika” est le titre choisi pour un article qui voulait faire état du lancement du mouvement Rachad. Et c’est justement la façon de présenter Rachad dans cet article qui m’interpelle et m’incite à faire une mise au point.

Je me rappelle ainsi avoir prononcé le mot “non-violence” une vingtaine de fois lors de ma discussion avec Mme Moussadek. Ceci ne l’a apparemment pas convaincue car elle n’a voulu y voir que le signe que « derrière ‘ces voies non violentes’ que Rachad prône, se cache un passé lourd d’activisme islamiste. » Il est donc évident que, soit j’ai failli dans ma tentative de présentation de Rachad, ou bien que le « lourd passé d’activisme islamiste » a tant pesé sur le subconscient de mon interviewer. En tout état de cause, je me dois de clarifier certains points.

D’abord, la dictature qui est dénoncée n’est pas tant celle de M. Bouteflika mais bien celle, plus réelle et effective, de la Direction du renseignement et de la sécurité (DRS), c’est à dire les services secrets

de l’armée en Algérie. Ceci ne disculpe cependant pas M. Bouteflika d’être un allié – convaincu ou conjoncturel là n’est pas la question – et aussi une vitrine légalisant cette dictature. Rachad vise donc essentiellement à mettre un terme à cette dictature et à redonner aux « services » leur mission légale sous le contrôle d’institutions librement élues et légitimes.

Il m’est aussi « reproché » dans l’article en question d’entretenir des liens avec le président et le vice-président du Front Islamique du Salut (FIS) « qui ont croupi douze ans dans les geôles algériennes et ont toujours refusé de condamner les activités armées du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), devenu Al-Qaida Maghreb ». Je sentais bien l’acharnement de mon interlocutrice à mettre en lumière un tel lien, ce qui l’a conduite à reconnaître néanmoins que je me défendais de « relayer tout discours propagandiste ». Sur le fond de cet aspect, je dirai que Rachad a déjà entamé des contacts avec diverses personnalités et associations algériennes, y compris des agents de l’Etat algérien, fussent-ils civils ou militaires, pour justement rassembler le maximum d’Algériens et Algériennes en vue du changement tant souhaité.

En ce qui me concerne personnellement, je trouve naturel que d’agir dans ce sens, en gardant, entre autres, des contacts avec MM. Abbassi et Benhadj. Il faut aussi noter que le hasard du calendrier a fait que cet article soit publié quelques jours après que le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU ait rendu publique sa condamnation du régime algérien pour avoir « arbitrairement détenu M. Abbassi ». Une décision similaire devrait suivre pour le cas de M. Benhadj. Cette importante décision qui montre bien sous quelle perspective doivent être comprises les condamnations émises par les justices aux ordres. Sous ce même registre, je ne peux que saluer la publication par « Le Temps » – ce jour même – d’un article fort intéressant sur M. Dick Marty où il invite à « déclencher une dynamique de la vérité » afin justement d’éviter des dérapages.

Les relations de Rachad sont et seront toujours basées sur les principes et méthodes d’action que notre Mouvement a rendu publiques et les élucubrations mises en avant par Mme Moussadek ne peuvent prétendre s’approcher d’une quelconque réalité et encore moins susciter le doute sur les méthodes prônées par Rachad.

Ceci m’amène à réaffirmer clairement que le choix stratégique de Rachad consiste à amener

le changement par des voies exclusivement non-violentes. Ce choix n’est pas dicté par des considérations liées aux barbouzes regroupés en « plateforme euro-atlantique chargée de surveiller les cellules islamistes dormantes » ni à la prétendue sempiternelle vigilance des services de police à l’égard de groupes comme Rachad dont estime nécessaire de nous rassurer l’auteur de l’article. Il découle d’une analyse approfondie de la réalité algérienne et aussi par la constatation que seule une action de changement rassembleuse et authen- tiquement voulue par les Algériens et Algériennes pourra mettre un terme à la dictature et à la culture du coup d’Etat et du fait accompli.

Le terme « intifada » à travers lequel Mme Moussadek a cru entrevoir une « dérive violente » ne doit pas être compris dans le contexte du conflit palestinien. Il fait plutôt référence à un besoin de « bouger », de dire non à la dictature, non à la corruption, non à l’arbitraire. On a besoin d’une « intifada » qui secouerait (c’est en fait une traduction du verbe intafada) l’ordre de déliquescence tant voulu par le pouvoir en place. Rachad affinera sa tactique de changement à la lumière des contacts et débats qu’elle aura avec le maximum d’Algériens et Algériennes. Et malgré le message avec lequel a été conclu l’article de Mme Moussadek, Rachad fera tout ce qui est en son pouvoir pour que le changement, raisonnable et responsable, se fasse effectivement avec des fleurs ! Certains n’y croient pas et d’autres ne le souhaitent pas, Rachad œuvrera cependant pour le concrétiser.

Dr Mourad Dhina
Membre du Secrétariat du Mouvement Rachad 26 juin 2007


L’articel en question:

ALGERIE

«En finir avec la dictature de Bouteflika»

Des dissidents exilés en Europe, notamment en Suisse, se fédèrent pour tenter de renverser le régime en place à Alger. Parmi eux, d’anciens islamistes radicaux poursuivis par la justice de leur pays. Enquête. Marion Moussadek

Publié mardi 26 juin 2007 à 02:01

Al-Rachad, «Le bon sens», mouvement politique fondé par des Algériens réfugiés en Suisse, au Royaume-Uni et en Allemagne, a été lancé le 18 avril depuis Londres. Le groupuscule veut renverser le président Abdelaziz Bouteflika et son régime. Pour parvenir à ses fins, il drague aussi bien des sympathisants islamistes (MSP, ex-Hamas algérien) que des membres du FLN (ex-parti unique) ou du FFS (socialiste). Et il s’adresse tant à la diaspora qui a jeté l’ancre en Europe qu’aux résidents cantonnés en Algérie.

Le mouvement – et non le parti – aspire à un «Etat de droit et à la bonne gouvernance», et propose «au peuple algérien une alternative pour un changement radical du système politique». Trois des cinq membres fondateurs vivent en Suisse: Abbas Aroua enseigne à la Faculté de médecine de Lausanne; Mourad Dhina est un ancien collaborateur du CERN et de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich; Rachid Mesli travaille pour l’organisation arabe des droits de l’homme Al-Karama à Genève.

Leur charte dénonce «la façade civile» d’un gouvernement contrôlé par «l’oligarchie militaire» et fustige la dislocation sociale et la crise économique qui gangrènent l’Algérie. Les dissidents récusent la «dictature de Bouteflika»: le parlement est réduit à «une simple chambre d’enregistrement», et les institutions sont «asservies» à la Direction des renseignements et de la sécurité (DRS), service de l’armée nationale et colonne vertébrale du pouvoir.

Ces accusations virulentes se nourrissent de la réalité d’un pays en faillite: malgré des ressources naturelles extrêmement riches (50 milliards de dollars issus du seul pétrole dans les caisses de l’Etat en 2006), le taux de chômage est écrasant et plus de 40% des femmes sont encore analphabètes. Ces chiffres incarnent la paupérisation d’un peuple assommé par une décennie de violences: 150000 morts, 2 millions de déplacés et 20000 «disparus forcés».

Les ingrédients sont donc réunis pour battre le rappel des troupes. En deux mois d’existence, Al-Rachad affirme être fort d’un millier d’adhérents algériens, et d’une bonne poignée d’exilés de l’intelligentsia. Le mouvement politique mijote «une action civique symbolique», où il orchestrerait des grèves massives qui paralyseraient le pays et contraindraient le pouvoir à composer avec ses revendications. Voire à «abdiquer».

Pourtant, derrière «ces voies non violentes» que Rachad prône, se cache un passé lourd d’activisme islamiste. Mourad Dhina est en effet une figure de proue des fondamentalistes algériens. Après la dissolution et l’interdiction du Front islamique du salut (FIS) en 1992, il se réfugie à Saint-Genis-Pouilly, aux portes de Genève dans l’Ain. Deux ans plus tard, il est soupçonné de trafic d’armes par la France. Il prend alors la poudre d’escampette en Suisse où sa demande d’asile est rejetée à deux reprises. Entre 2002 et 2004, il devient néanmoins responsable du bureau exécutif du FIS à l’étranger. Depuis 1995, il est ainsi toléré sur le territoire helvétique, grâce à une admission provisoire qui s’éternise. Privé de passeport par les autorités algériennes, il est condamné à arpenter les 26 cantons. Lui, sa femme, et ses six enfants, dont cinq sont nés ici.

Dans un français irréprochable, l’ex-leader par intérim se défend de relayer tout discours propagandiste. Mais il confesse volontiers entretenir des liens «quasi permanents» avec le leader historique du FIS, Abassi Madani, et son bras droit Ali Belhadj, qui ont croupi douze ans dans les geôles algériennes et ont toujours refusé de condamner les activités armées du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), devenu Al-Qaida Maghreb.

Quelle influence s’apprête à exercer Al-Rachad, et en tirant quelles ficelles? Une plateforme euro-atlantique chargée de surveiller les cellules islamistes dormantes ayant une vitrine sur Internet garde un œil attentif sur le mouvement. Pas de commentaire du côté de l’ambassadeur algérien à Berne, qui réclame néanmoins ponctuellement à la Confédération l’extradition de Mourad Dhina, condamné par contumace à 20 ans de réclusion criminelle. Quant à la Police fédérale, elle explique laconiquement: «Le groupement d’opposition politique est connu de nos services (ndlr: Service analyse et prévention de lutte contre le terrorisme), mais pour l’instant, on ne décèle aucun lien avec des actes extrémistes violents.»

En attendant, la campagne de recrutement bat son plein et Al-Rachad envisage de se doter de sa propre chaîne télévisée. Directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève, l’Algérien Hasni Abidi souligne: «C’est la première fois que des islamistes influents s’ouvrent autant. C’est bon pour leur image. C’est donc un moyen de recruter le plus possible.» A Londres, Mohamed Larbi Zitout, pilote du projet d’Al-Rachad, résume sans détour son objectif: «Nous pensons organiser une sorte d’Intifada, de manifestation nationale […]. Il y aura toujours un prix à payer. L’Algérie, ce n’est pas la Géorgie, on ne peut pas réussir une révolution qu’avec des fleurs.»

https://www.letemps.ch/monde/finir-dictature-bouteflika