Droit de réponse

Réponse à “benmhidi1956” concernant une interview de 2002

Transcription d’un enregistrement vidéo posté sur youtube

Assalamou alaykoum, Bonsoir,

C’est une courte vidéo dans laquelle je voudrais apporter quelques éléments de réponse à une interpellation qui a été faite par quelqu’un sur youtube qui a le pseudonyme de « benmhidi 1956 », qui se présente comme un ex étudiant à l’ENA (Ecole nationale de l’Administration) à Alger, et qui m’interpelait sur une interview, il a le passage complet sur son site youtube « benmhidi 1956 ».

Il m’interpelle au sujet de ce qu’il conçoit comme un passage un peu choquant pour lui. Je lui ai promis dans un échange d’emails entre nous que je répondrai dans la clarté la plus totale et absolue et c’est ce que j’essaierai de faire dans cette petite intervention sur youtube.  Je me limiterai à quelques minutes pour ne pas dépasser les normes sur youtube. Bien sûr le débat peut être très long, et j’espère qu’on aura l’occasion de revenir sur ces points dans le détail.

Alors, la première chose que je voudrais souligner est que toute interview qui ne passe pas en direct est, bien sûr, présentée dans un montage. Je ne veux pas attaquer le journaliste, pour dire qu’il a fait des montages ; non c’est juste le contexte, l’idée qu’on veut véhiculer, elle peut être différente dans la perception de l’interviewer ou de l’interviewé.

Dans cette interview, mon interviewer essayait de mettre l’accent sur ce qu’on appelle communément les assassinats d’intellectuels. On a donc eu un débat entre nous sur ce que c’est qu’un assassinat, qui sont les intellectuels, sur la sélectivité de la dénonciation des crimes en Algérie sur laquelle je me suis insurgé. J’ai dit : « S’il y a des morts, nous devons pleurer tous nos morts et dénoncer tous les crimes. Je suis le premier à dénoncer tous les crimes qui ont entrainé la mort de centaines de milliers de nos frères algériens et algériennes. »

J’ai eu une autre fois dans une interview le même genre de reproches, dans une télé française, suite aux attentats de 1995, en France à Paris, où j’ai eu les deux chaines Antenne 2 et TF1 qui sont venues m’interviewer et qui voulaient savoir : « Pourquoi ne condamnez vous pas les attentats ? ». J’ai dit : « Le problème n’est pas de condamner vos attentats, le problème qui se pose pour moi en tant qu’Algérien est pourquoi vous vous taisez devant les quarante mille morts », à l’époque on croyait qu’il y en avait quarante mille mais je crois qu’il y en avait malheureusement beaucoup plus, et je disais que : « vous vous taisez devant ces massacres qui ont eu lieu chez nous et vous voulez que moi je vienne intervenir chez vous pour pleurer les huit morts à Paris ». Bien sûr, il ne s’agit pas de se réjouir de la mort de qui que ce soit nulle part dans le monde, mais de dire que ce qui me chagrine en ce moment, ce qui me rend vraiment très attristé, c’est ce qui se passe chez moi.

Revenons à cette histoire d’intellectuels et à cette interview. Tout d’abord, à un moment donné, je parle d’« intellectuels de gauche », il faut bien remarquer que dans la vidéo il y avait une coupure. J’ai mentionné le nom d’« intellectuels de gauche » parce que c’était dans un débat, non transmis dans le documentaire, entre moi et l’interviewer, sur qui ils étaient. Lui [il]disait que c’étaient des « intellectuels de gauche ». J’ai dit écoutez, c’est votre appréciation, et si vous insistez à les nommer comme ça, qu’il en soit ainsi.

Après cette introduction je voudrais d’abord marquer quelques faits essentiels. D’abord, je n’accepte pas la sélectivité. On ne parle pas de la mort de X pour oublier celle de Y, quelles que soient ces personnes. Pour moi tous les Algériens qui ont été assassinés dans la tragédie que nous avons connue méritent le respect et méritent qu’on fasse la vérité sur ce qui s’est passé. Je n’accepte pas les étiquettes collées ici et là : celui-là est un intellectuel qui a été tué par un intégriste. On présente [les faits]sous une forme qui plait à un pouvoir donné, qui plait à certains courants politiques. Moi, je ne fais pas de la surenchère politicienne sur les victimes, il faut dénoncer tous les crimes. Et aujourd’hui il ne suffit pas de dénoncer, et c’est là où j’interpelle tous les soi-disant intellectuels et démocrates : venez avec nous et recherchons la vérité  sur ce qui s’est passé dans notre pays. Car on ne peut pas faire l’impasse sur cette recherche de vérité. Et moi, je m’y engage personnellement pour que l’on fasse toute la vérité et j’accepte le verdict de cette quête de vérité quel qu’il soit, car nous la devons à la mémoire de toutes les victimes.

Qu’est-ce qu’il y a eu en Algérie en 1992 ? Il y a eu un coup d’Etat. Monsieur Benmhidi me dit que peut-être il se réjouissait de ce coup d’Etat parce qu’il disait qu’il était contre la poursuite du processus électoral. Politiquement vous en avez le droit. Mais vous n’avez pas le droit d’utiliser la violence de l’Etat, les moyens de coercition de l’Etat, pour mater et pour exterminer un parti qui a gagné des élections. C’est ce qu’on appelle un coup d’Etat et tous ceux dans ce pouvoir qui se sont tus par lâcheté, qui ont été complices de ce pouvoir sont d’une certaine façon responsables des drames qu’ont vécus les Algériens. Ce ne sont pas des paroles en l’air, parce que je ferai mon introduction sur un passage très important de la Déclaration universelle des droits de l’homme dont on vient de fêter le 60ème anniversaire il y a quatre ou cinq jours, et qui dit dans son préambule une chose très importante, je la cite :

« Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression. »

L’homme, quand il est mis entre les mâchoires de la dictature, il essaie de se débattre, et cela peut conduire à une explosion de violence ; c’est ce qu’on a vécu en Algérie. Tous ces jeunes qui ont pris les armes, tous ceux qui ont tué, à tort bien sûr, est-ce qu’il faut les blâmer eux en premier ou bien commencer par ce pouvoir, avec ceux qui ont été complaisants, qui ont peut-être poussé à ce crime, et taire leurs crimes à eux et nous orienter vers ces jeunes ? Alors, ça c’est si on considère que ces jeunes qui se sont révoltés sont les vrais commanditaires ou les exécutants de ces assassinats. Ceci n’est pas sûr. Je citerai juste trois sources non islamistes.

Un journaliste qui s’appelle Sid Ahmed Semiane qui était journaliste dans le journal Le Matin, connu par ses positions. Semiane écrit un livre en 2005, Au refuge des balles perdues, où il dit : « Et vint le temps de la décadence absolue. J’ai vu des journalistes diffuser de faux communiqués élaborés par les bons soins de leurs amis officiers des services de renseignement, attribués le lendemain, en gros caractères, directement aux islamistes du GIA, alors qu’ils savaient que c’étaient de faux communiqués ». C’est de l’appel au meurtre. C’est de la connivence avec des dictateurs, avec des gens qui ont du sang sur les mains.

Que disent d’autres, comme Arezki Aït Larbi qui, lui aussi, n’est pas un intégriste islamiste, quand il nous relate l’épisode de l’assassinat de Tahar Djaout, puis ce qui s’est passé avec Saïd Mekbel, qui a fait un comité avec d’autres pour justement demander que la lumière soit faite sur cet assassinat. Et que Mekbel a été lui aussi assassiné quelques mois plus tard. Et comme nous le révèle Monika Borgmann, la journaliste, qui l’avait rencontré en 1993 ; il lui a dit : « Si je suis tué un jour, ce sera sur ordre du général Tewfik ».

Il faut faire la part des choses. Il faut faire la part de la vérité et connaitre qui a fait quoi. On ne peut pas juste gober la propagande du pouvoir ou de ceux qui veulent tout coller aux intégristes. Je dis qu’il faut faire la vérité, qu’il ne faut pas faire de la sélectivité dans la condamnation des assassinats. Nous condamnons tous les assassinats d’innocents algériens et il y en a des centaines de milliers.

Pourquoi mentionner des noms, [et là je m’adresse]à M. Benmhidi que j’interpelle, que vous ne connaissez pas, j’en suis sûr, parce que vous les citez comme ça, c’est un petit peu la presse qui rapporte ces noms, et ce sont des noms que moi aussi je ne connais pas ? Je ne connais pas Djaout personnellement, je n’ai rien à lui reprocher personnellement, et je regrette qu’il ait été assassiné comme des dizaines de milliers d’autres Algériens. Mais pourquoi ces gens là ne mentionnent pas d’autres personnes, ceux qui étaient internés dans des camps de concentration, des gens comme docteur Ouziala, professeur Gahmouz, Salah Assad le footballeur, et il y en a des dizaines de milliers d’autres ? Ceux qui ont été faits disparus par ce pouvoir criminel, des gens comme le professeur Benlahrache, comme le professeur Boulaaras, comme le professeur Rosli, il y en a des dizaines de milliers ? J’en connais personnellement des centaines, chose que peu de gens peuvent dire, parce que moi j’ai des listes de gens qui ont été exécutés par ce pouvoir et ses mains assassines.

Quand je dis pouvoir, je fais la différence : il y a eu des têtes des crimes, il y a eu des gens qui se sont tus par lâcheté, ils ont exécuté les ordres, eh bien ma foi, ils ont été complices qu’ils le veuillent ou non. Il y a eu ces « intellectuels » comme ceux que nous cite Salah Eddine Sidhoum quand il nous parle de quelqu’un comme Rachid Boudjedra qui proclame sans rougir, qui parle des gens du FIS, de « conglomérat de rats enragés, pestiférés », qu’il faut envoyer à l’abattoir, qu’il faut exécuter. Il parle aux généraux pour leur dire : Allez-y, tuez-les ! Et ça nous rappelle ce que disait un certain Michel Morel du temps de la colonisation française, quand il parlait des indigènes, nos parents algériens, qu’il traitait de « huit millions de ratons sales et illettrés qui narguent la France », donc bons à être exterminés.

Les Algériens sont morts par milliers dans des massacres qui ont eu lieu à des dizaines de mètres de certaines casernes. Moi, je n’accepte pas que l’on me dise que c’est simplement le GIA qui les a tués. Je veux savoir exactement qui a fait quoi dans ces massacres. Allez demander une enquête sérieuse. Qu’on ne nous raconte pas du n’importe quoi. Parce qu’il y a eu des milliers d’enfants, de femmes et de citoyens tout simples qui ont été massacrés à la hache, et ça je ne peux pas l’accepter, et jamais je ne me tairai jusqu’à ce que lumière soit faite.

Donc [nous nous devons]d’être juste, de rechercher la vérité et de ne pas faire dans la sélectivité quand nous condamnons les actes odieux.

Je vous remercie, wassalamu alaykum.

Mourad Dhina
Mi décembre 2008

Source : Réponse à “benmhidi1956” concernant une interview de 2002